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Roman-Roman
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30 décembre 2012

elle choisit un minuscule toast au caviar d’Iran

II - 9

Au moins un ruisseau, au moins, là où je suis, dans l’inaction forcée où je me trouve, ça aura l’intérêt de me désennuyer. Au mois d’août, il m’a invité là, dans le vieux manoir de famille délabré bâti au bord de la paisible rivière Eden —  au moment où il s'y attend le moins, par moments, son enfance le rattrape, le frappe en plein visage comme une gifle violente, il s'évade, sans comprendre pourquoi, s'oublie dans le passé, ses rêves le projettent dans un espace rassurant où il triomphe de tout ce qui essaie de lui nuire. Au musée du WeIl de New-York, au nom de notre très ancienne amitié, dis-moi vraiment ce qu’il en est: es-tu réellement en fuite et caché quelque part, craignant des ennemis qui te harcèlent? Car dans ce cas, je peux essayer de t’aider au nom des pleurs dont je mouille mon clavier, instruis-moi au moins, des motifs qui te font douter de moi. Au pire il s’éloignera du village… comme le chemin vient en droite ligne depuis l’ancienne route, il ne devrait pas le manquer… au pire, cela prendra quelques heures… Au plaisir de vous lire : au premier plan, une femme, cheveux longs blonds, complètement dénudée, est allongée sur le sol, à plat ventre, bras étirés vers l'avant… Au reste, si on t’attaquait jamais car je crois tout possible soit sûr que je viendrais à ton secours et que je mettrais tout mon zèle à te défendre au risque de te décevoir… Bruges pour moi est un mouvement, une lumière sans cesse changeante, de la neige sur des rues désertes, de la pluie traversée de soleil, un flot permanent de touristes le jour, un désert absolu à partir de huit heures et le son de mes pas dans les rues désertes que je parcours pour me désennuyer… Au siècle dernier ?… Il aurait téléphoné à un universitaire spécialisé qui aurait pu se renseigner auprès de ses collègues ou fouiller dans des bibliothèques, au sommet un long couloir blanc, assez étroit, qu’ils empruntent jusqu’à ce que elle ouvre une autre porte. Au vu de son épaisseur, je m’attendais à ce qu’elle contienne un long récit complémentaire de celui qu’il m’avait fait pendant les quelques heures de nos rencontres à Berlin… Au-dessous de la photo, un cadre à fond jaune avec un couteau suisse ouvert souligné de l’inscription "Russmann spielt Lotto". Au-dessous, son nom, au-dessus d'un buffet où elle, comme par négligence, choisit un minuscule toast au caviar d’Iran abandonné sous une toile de bataille où, dans des débauches de rouge sang, la blancheur intégrale de cadavres posée comme seule perspective picturale creuse l'espace. Au-dessus d’eux, donnant une touche ironique à la scène, un petit ange nu et potelé flotte dans l’air tendant à bout de bras une couronne de laurier dont, si on ne sait pourquoi ou pour qui ce tableau a été peint, la destination est imprécise… Au-dessus d’une fontaine, surprise de découvrir une statue de sainte noire: sainte… au-dessus de sa tête, un des innombrables et muets écrans plats de télévision où se forme d’incessant cyclones d’images militaires et de combats qu’elle ne regarde plus ; au-dessus du comptoir, une grande horloge ancienne indique 20 heures 12: au-dessus encore, rendue difficilement perceptible par la distance, une scène de combat dispose au premier plan trois groupes de cavaliers relativement calmes aucun d’entre eux d’ailleurs ne sait que faire, ils se trouvent désormais là attendant dans un coin de l’immense Salon vide, si ce n’est quelques militaires qui gardent les portes ou l’escalier où rien ne semble plus devoir se passer, assis en rond sur leurs chaises, ne se parlant que pour rendre supportable le silence qui s’installe aucun d’entre eux n’émet la moindre objection ; aucun de nous ne se connaît directement, nous avons assez souvent travaillé ensemble — aucun des textes traduits n’est repris en transcription phonétique, ce qui veut dire qu’il y a 198 textes différents qui ont pu être attribués, soient environ 95 pour cent aucun doute — c’est bien le médaillon trouvé dans sa chambre dont elle a parlé, aucun doute, ce n’est pas le même homme, aucun homme ne peut changer impunément le cours de son histoire car tout est en place pour que ce qui est prêt s'accomplisse: s’il est des labyrinthes dont l'issue ne peut être qu'un commencement, tout récit est un cercle où nous nous enfermons. Après tout les raisons de vivre et de mourir sont si variables que l’incohérence n'est qu'un moyen comme un autre pour atteindre les buts qui nous sont fixés.

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